La généralisation en France de la facturation électronique entre assujettis à la TVA pointe à l'horizon, au plus tôt en 2023.
Emilie Urbany, Directrice Innovation et Produit de Cegedim e-business, expert de la dématérialisation des process B2B, livre sa vision (*).
Le gouvernement a ouvert le chemin vers une généralisation de la facturation électronique entre entreprises assujetties à la TVA avec un démarrage prévu en 2023. Quels sont les enjeux de ce sujet pour toutes les parties prenantes potentiellement concernées ?
Je vois deux parties prenantes essentiellement. Et deux enjeux majeurs. Le premier, pour l'Etat, est de lutter contre la fraude à la TVA. Il s'agit d'une préoccupation des Etats membres de l'Union européenne. Une étude lancée par la Commission européenne a mis en exergue une différence entre les recettes de TVA attendues et celles effectivement perçues. Cet écart s'élève à 147 milliards d'euros au niveau de l'Union européenne dont 20 milliards d'euros pour la France. D'où l'idée de rendre cette facture électronique obligatoire dans le secteur du B to B pour s'assurer d'une meilleure traçabilité des échanges entre clients et fournisseurs. L'autre enjeu est pour les entreprises. Il s'agit d'améliorer leur trésorerie par le fait qu'elles soient payées le plus rapidement possible.
Est-ce qu'il n'y a pas aussi pour les entreprises un enjeu comptable, celui d'un levier supplémentaire pour tendre vers l'automatisation de la comptabilité ? Et au plan fiscal, un enjeu dans la relation avec l'administration ?
Ce qui pourrait modifier la relation pour les entreprises sera fonction de la décision choisie par le gouvernement en septembre 2020. Soit on se dirige vers un simple dispositif déclaratif des données de TVA, c'est-à-dire une sorte de déclaration de TVA pré-remplie qui se traduirait par l'émission d'un rapport. C'est le cas en Espagne et en Hongrie. Soit on se dirige vers la mise en place d'une plateforme qui là vise la validation préalable des factures, c'est-à-dire que l'administration fiscale validerait cette facture avant de pouvoir la transmettre au client comme c'est par exemple fait en Italie.
La troisième modalité qui pourrait être choisie par l'Etat serait d'avoir recours à des tiers de confiance, c'est-à-dire des prestataires comme Cegedim qui obtiendraient une certification par rapport à ça.
En quoi consisterait ce rôle de tiers de confiance dans ce contexte ?
Il servirait à avoir la traçabilité de bout en bout de la facture, c'est-à-dire d'obtenir un historique d'évènements horodatés depuis l'émission de la facture jusqu'à sa réception. Et cette facture sera archivée avec un journal de preuve qui permet d'authentifier qu'elle n'est pas modifiée y compris sur les montants de TVA à percevoir par l'Etat. L'Etat pourrait déléguer le contrôle des éléments légaux qui doivent apparaître sur une facture et sur le fait qu'elle n'est pas modifiée et qu'elle est bien archivée légalement, ce que nous faisons déjà.
Avec notre portail Sy, en tant que prestaire de services de dématérialisation des factures nous avons vocation à digitaliser tous les processus métiers et réglementaires complexes de nos clients. Sur ce portail, nous sommes capables de générer le type de TVA auquel l'entreprise est assujettie, de pré-remplir les différents taux de TVA possibles et donc de générer des débuts d'écriture comptable avec le taux de TVA à l'intérieur.
Parmi les trois schémas que vous venez de décrire, y-en-a-t-il un qui se dessine ?
Non, je ne peux pas vous donner d'orientation.
Quelle sera la faculté des entreprises à communiquer dans de bonnes conditions entre elles ? S'il y a plusieurs normes de facturation électronique qui cohabitent et qui ne savent pas bien communiquer entre elles, on n'aura peut-être pas beaucoup avancé...
L'avantage de passer par des prestataires de facture électronique c'est qu'on est capable de convertir n'importe quel format au format attendu d'un côté ou de l'autre. Aujourd'hui, on adresse déjà cette complexité. La diversité des formats ne nous fait pas peur même si je pense que vous voulez parler du format Factur-X qui pourrait devenir une norme générale en Europe. Aujourd'hui, rien n'est acté mais il n'y a pas de souci à avoir par rapport à ça puisque les opérateurs de dématérialisation savent vraiment gérer tous les formats et les transformer sur les formats attendus par le connecteur du partenaire désigné.
Cela veut dire, pour les entreprises, potentiellement un coût supplémentaire et une complexité technique. Par exemple pour une grande entreprise qui travaillerait en EDI et qui communiquerait avec une TPE qui serait sur du Factur-X.
Nous, on sait faire ce pivot. Techniquement, ce n'est pas un problème. Dans votre exemple, il y aurait certainement le coût d'un pivot, ce qui n'est pas très cher. Et les bénéfices qu'apporte la dématérialisation d'une facture sont tels, notamment le ROI [return on investment, retour sur investissement] par rapport au gain de temps sur le paiement des factures, qu'ils compensent les coûts initiaux de mise en place de ces projets-là. Gagner un jour de DSO [days sales outstanding, délai de paiement des clients] est énorme pour la trésorerie d'une entreprise. Je pense que l'entreprise préfère payer son pivot pour obtenir son cash plus rapidement.
Oui mais l'enjeu pour une TPE est peut-être davantage commercial, c'est-à-dire que son problème n'est pas forcément de ne pas avoir de visibilité sur ses encaissements mais davantage de pouvoir être en mesure de peser sur le grand compte pour qu'il règle à temps.
Aujourd'hui la TPE est quand même protégée par la règle sur les paiements qui oblige le grand compte à régler sa facture en temps et en heure sous peine de payer des pénalités. Et à côté de cela, ce qui sera bien pour la TPE c'est qu'elle aura un outil qui permettra d'avoir les mêmes statuts que son client grand compte. Tous les deux auront la possibilité de voir à quelle date la facture a été déposée sur la plateforme et la date de paiement attendue.
Sur notre portail, nous avons également mis en place des messageries collaboratives qui permettent à une TPE d'échanger directement avec son interlocuteur sur la plateforme et donc de relancer via cette plateforme son client pour lui demander quand il sera payé. C'est la garantie que le message envoyé tombera sous les yeux de la bonne personne et donc d'avoir une réactivité plus importante. Donc un poids plus important que quand on téléphone.
Une norme informatique va-t-elle émerger en matière de facturation électronique ? C'est d'ailleurs l'un des objectifs du gouvernement.
Si une norme doit sortir, ce sera effectivement plutôt Factur-X. Car elle permet de porter des données dedans ou alors d'avoir l'inverse, c'est-à-dire un format structuré qui porterait le PDF à l'intérieur. C'est le format qui serait le plus abordable à la fois pour les petites entreprises, lesquelles n'auraient ainsi pas besoin de mettre en place de l'EDI par exemple, et les grandes.
Et pour les grandes entreprises, ce ne serait pas gênant sachant que certaines d'entre elles ont probablement déjà des systèmes en interne de facturation électronique ?
Si on passe par une plateforme telle que le portail Sy de Cegedim, on est capable de faire l'acquisition de tous les formats. A l'arrivée, c'est totalement transparent pour la grande entreprise. Vous disiez que le coût pour l'entreprise serait inférieur au bénéfice attendu.
Quel pourrait être le coût pour une entreprise ?
Le coût moyen d'une C'est très compliqué de donner un coût. Tout va facture papier reçue dépendre de la taille de l'entreprise et surtout de la d'un fournisseur s'élève complexité de son organisation. Il faut regarder quel à 14 euros ?? est le coût d'une facture papier par rapport à une facture digitalisée. Le coût moyen d'une facture papier reçue d'un fournisseur s'élève en France à 14 euros.
Que représente ce coût ?
Je me base sur plusieurs études qui englobent le traitement du courrier (90 centimes), la saisie (1,40 euro), la validation (5,40 euros), le paiement, l'archivage et la gestion des litiges. Le total s'élève à 13,80 euros. La validation, partie la plus chère, peut coûter un peu moins, par exemple dans une TPE où il n'y a qu'une seule personne qui s'en charge, ou davantage. Sur une facture dématérialisée, on passe à un coût sur tous ces mêmes postes de 4 euros en moyenne. Sur une facture papier émise, le coût standard s'élève à 9 euros contre 3 euros lorsqu'elle est dématérialisée.
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Emilie URBANY
Directrice Innovation et Produit, Cegedim e-business
Propos recueillis par Ludovic Arbelet, journaliste chez Editons Legilatives
(*) cette interview a été réalisée le 31 mars 2020